Algorithmes et équité de visibilité : comprendre les règles du jeu sans perdre le sens
En 2025, une phrase revient fréquemment sur LinkedIn : « Je fais la même chose qu’avant… mais personne ne voit mes publications. »
Derrière cette frustration, il y a une question plus profonde et plus importante qu’un simple enjeu de portée : la visibilité est-elle réellement “équitable” sur les réseaux professionnels?
Ce débat a explosé ces dernières semaines avec une série d’expériences menées par des utilisatrices qui ont modifié des éléments de genre ou de ton dans leur profil ou leur façon d’écrire, et ont observé une hausse marquée de la portée de leurs publications. Le Financial Times raconte notamment des cas où des créatrices disent avoir vu leurs impressions grimper fortement après un “gender swap” ou “bro-coding” du langage. 
TechCrunch a ensuite nuancé : l’histoire est plus complexe que « LinkedIn est sexiste », mais le sentiment de décrochage massif de la visibilité est bien réel chez de nombreux créateurs. 
Alors, que se passe-t-il vraiment? Et surtout : comment les marques et les organisations peuvent-elles naviguer ces dynamiques, sans courir après l’algorithme à tout prix?
Ce qu’un algorithme fait (et ne fait pas)
Un algorithme du fil d’actualité n’est pas un arbitre du « mérite ». Il s’agit d’une machine à prédire : qu’est-ce qui va retenir l’attention, générer des interactions et satisfaire l’utilisateur?
Sur LinkedIn, des signaux comme le temps passé sur une publication (“dwell time”) font partie des signaux utilisés pour classer les contenus. LinkedIn l’a expliqué dans un billet d’ingénierie : la plateforme observe le comportement de lecture (temps passé) et l’utilise comme signal, notamment en pénalisant les contenus survolés trop rapidement. 
Conséquence : l’algorithme amplifie des formes de communication qui déclenchent rapidement lecture, réaction, commentaire — pas nécessairement celles qui sont les plus nuancées, les plus inclusives, ou les plus utiles.
Pourquoi l’équité de visibilité devient un enjeu économique
Dans un réseau comme LinkedIn, la visibilité est directement liée à des opportunités : partenariats, recrutement, demandes entrantes, crédibilité perçue. Ces « expériences de genre » ont particulièrement marqué les esprits, puisqu’elles mettent en lumière un enjeu central : la valeur économique de la visibilité.
Mais attention à une conclusion trop rapide. LinkedIn affirme ne pas utiliser le genre comme facteur de classement et souligne plutôt l’augmentation globale du volume de contenu. 
Ce qui nous amène à une hypothèse souvent plus plausible (et plus utile) : l’algorithme peut amplifier des biais déjà présents dans les comportements humains et les normes sociales. Autrement dit, il ne crée pas ces déséquilibres : il les rend simplement plus visibles et plus puissants.
Exemple concret : si certaines façons de s’exprimer — plus affirmatives, plus « autoritaires » ou plus axées sur l’autopromotion — génèrent davantage d’engagement, elles sont progressivement mises de l’avant par l’algorithme, au détriment d’autres formes de discours. Résultat : des voix plus prudentes, plus nuancées ou moins enclines à l’auto-valorisation peuvent être structurellement désavantagées, même sans intention explicite.
LinkedIn vs X : quand l’engagement devient un filtre de réalité
Sur X (ex-Twitter), la littérature scientifique et les observations empiriques convergent sur un point : le contenu émotionnel conflictuel performe. Des travaux montrent que les dynamiques d’indignation et d’animosité (“outrage”, “out-group animosity”) sont fortement corrélées à l’engagement.
Plus récemment, des recherches relayées par The Guardian indiquent qu’une légère hausse de l’exposition à du contenu partisan ou divisif dans l’onglet “For You” peut accélérer la polarisation affective en très peu de temps.
Ces observations sont particulièrement pertinentes, puisque l’équité de visibilité ne dépend pas seulement d’un « paramètre secret » de l’algorithme : elle dépend aussi de ce que les plateformes récompensent, et de ce que nous, utilisateurs, renforçons par nos clics.
Le vrai risque pour les marques : optimiser pour l’algorithme… et perdre son identité
Quand la portée baisse, la tentation est grande :
- adopter un ton plus tranché (qui génère des réactions);
- poster plus souvent sans ligne éditoriale claire;
- suivre des formats qui « marchent », même s’ils ne reflètent pas l’identité de la marque.
À court terme, cette approche peut relancer la visibilité. À long terme, elle a un coût élevé : confiance, cohérence et réputation.
L’objectif n’est donc pas « d’échapper » à l’algorithme, mais de le comprendre suffisamment pour rester intentionnel.
Une boussole simple : jouer avec les signaux, pas contre vos valeurs
Voici une approche concrète, applicable dès maintenant pour les marques, dirigeants et organisations :
1) Privilégier la clarté au volume
Si le “dwell time” compte, alors la valeur vient souvent de : un point clair, un exemple précis, une idée qui fait réfléchir. LinkedIn indique tenir compte de la qualité de la lecture et des échanges dans la mise en avant des contenus. Misez donc sur des publications qui se lisent attentivement et qui suscitent des commentaires réfléchis, plutôt que de simples réactions rapides.
2) Remplacer l’opinion “forte” par une position fondée
Sur X, les contenus qui suscitent l’indignation, c’est-à-dire des réactions de colère, de rejet ou de confrontation, génèrent souvent plus d’engagement.
Sur LinkedIn, le ton de la certitude peut aussi être récompensé puisqu’il déclenche des réactions. Il est toutefois possible de capter l’attention autrement : données, apprentissages terrain, mini-études de cas, erreurs suivies de leçons.
3) Construire la distribution, pas seulement la publication
L’équité de visibilité se travaille aussi en dehors de l’algorithme : partenariats de contenu, employés ambassadeurs, collaborations croisées, infolettres et événements. Réduire sa dépendance au fil d’actualité permet de gagner en stabilité.
4) Mesurer l’impact au-delà des impressions
Les impressions ne sont pas l’indicateur clé de performance le plus pertinent. Suivez plutôt les demandes entrantes, la qualité des conversations, le temps de cycle, le recrutement ou les leads qualifiés. Une portée plus faible accompagnée d’un meilleur taux de conversion vaut mieux qu’une viralité sans retombées.
Et si on parlait d’équité… comme d’un choix collectif?
Le débat sur les algorithmes et l’équité n’est pas uniquement technique : il est culturel. Quels récits valorise-t-on? Qui crédibilise-t-on? Quels formats encourage-t-on?
Les plateformes ont un rôle (transparence, design, gouvernance), mais les marques et communautés aussi : amplifier des voix utiles, encourager des conversations constructives et valoriser des contenus qui élèvent le niveau plutôt que d’enflammer le fil d’actualité.
En fin d’année, c’est peut-être l’occasion la plus saine de se poser cette question : en 2026, voulons-nous être simplement plus visibles… ou plus justes, plus cohérents et plus utiles?
Parce qu’au fond, la meilleure stratégie n’est pas de « gagner contre l’algorithme ».
C’est de construire une présence qui tient, même quand l’algorithme change.
